Lorsqu'on consulte l'inventaire de la sous-série 2 U aux archives départementales de la Vendée (AD85), intitulée Tribunal criminel puis cour d'assises de la Vendée (an VIII-1939), on constate, pour l'année 1888, parmi les procès-verbaux des séances et arrêts de la cour, l'existence d'un procès pour incendie volontaire au Langon concernant Jean AUGER et Marie Joséphine CHABIRON, mes ancêtres portant les numéros SOSA 24 et 25, soit les grands-parents paternels de mon grand-père maternel.
Les procès-verbaux des séances et arrêts de la cour d'assises de la Vendée pour l'année 1888 sont conservés aux AD85 sous la cote 2 U 120. C'est donc sous cette cote qu'on trouvera le procès-verbal du jugement de Jean AUGER et Marie CHABIRON. En revanche, le dossier de procédure de cette affaire n'a malheureusement pas été conservé.
Jean AUGER et Marie CHABIRON se sont mariés le 22/01/1879 au Langon ; Jean est né le 22/08/1850 à L'Hermenault, alors que Marie est née le 13/09/1855 à Longèves. Ils auront 4 enfants, dont seule l'aînée, Alice Marie Françoise, était née au moment de cette affaire ; en effet, elle est née le 31/05/1885 au Langon. Quant à son frère Jules, il naîtra le 13/12/1887 au Langon, soit entre le début de la procédure et le jugement. Marie était enceinte de lui lorsque le couple fut accusé. Les deux autres enfants, Marcelline Alida Marie Eugénie et mon arrière-grand-père Gustave Gabriel Raoul ne naîtront qu'après cette affaire.
Pour être complet, il convient de noter que Victor CHISSON, entendu comme témoin dans l'affaire, est l'époux de Véronique Marie Louise Jeanne CHABIRON, sœur de Marie, qui aurait dû être entendue également comme témoin si elle n'avait été malade. Notons pour la petite histoire que Victor est le fils de Jacques CHISSON, lequel fut condamné le 30/10/1872 aux travaux forcés à perpétuité pour avoir violé sa fille à plusieurs reprises. Il décèdera d'ailleurs au bagne en Nouvelle-Calédonie le 20/02/1895.
La séance du 3 février 1888 commence à 11h15 par le tirage au sort des jurés. En effet, pour une session d'assises, il y avait 30 jurés titulaires parmi lesquels étaient tirés au sort les 12 jurés appelés à composer le jury de chaque affaire. Ici, on apprend que parmi les 30 titulaire, l'un des jurés a été dispensé par un arrêt de la cour du 1er février pour les affaires restant à juger ; il est donc remplacé par le premier sur la liste des quatre jurés supplémentaires de la session. L'un des jurés sortis de l'urne ayant été récusé par le ministère public (celui-ci, tout comme les accusés ou leur avocat, a la possibilité de récuser 8 noms), le jury est finalement composé de 12 personnes venant des quatre coins du département.
Commence alors l'interrogatoire des deux accusés, comparaissant tous les deux libres. Ils sont invités à décliner leur identité, date et lieu de naissance, profession et domicile. On peut voir que Jean dit être né le 22/08/1851, alors qu'il est en fait né le 22/08/1850.
L'audience continue avec la lecture de la liste des témoins devant être entendus, puis l'audition des accusés et enfin l'audition des témoins. Malheureusement, la liste des témoins n'a pas été retranscrite dans le procès-verbal, les deux seuls témoins nommément cités étant la femme Chisson [...] qui, n'ayant pu comparaître devant la cour d'assises pour cause de maladie a fait parvenir un certificat de médecin constatant l'impossibilité dans laquelle elle est de se présenter et son époux Chisson Victor, qui, à raison de sa qualité de beau-frère des accusés, [...] a été dispensé [de prêter serment] et n'a été entendu qu'à titre de simples renseignements.
Le président décide alors de suspendre la séance, tous les témoins présents étant entendus et cinq heures et demie du soir étant arrivées, chacun ayant besoin de prendre du repos et de la nourriture. La séance reprend à huit heures du soir avec les réquisitions du ministère public et la plaidoirie de l'avocat des accusés. Après avoir donné la parole aux accusés en dernier, ceux-ci répondant qu'ils n'ont rien à ajouter, le président déclare les débats terminés et les jurés se retirent pour délibérer.
Quand les jurés reviennent dans la salle d'audience, le chef du jury lit la déclaration du jury en l'absence des accusés, avant de la remettre, datée et signée par lui-même, au président du tribunal qui la signe, ainsi que le commis-greffier. C'est ce dernier qui la lira en présence des accusés et des jurés.
La dite déclaration portant que les accusés ne sont pas coupables du crime qui leur était imputé, M. le président, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi a déclaré les dits accusés acquittés de l'accusation qui pesait contre eux et a ordonné qu'ils fussent mis sur le champ en liberté s'ils n'étaient retenus pour autre cause. On peut imaginer le soulagement de Jean et Marie Joséphine à la lecture de ce verdict ! La séance ayant été levée à neuf heures du soir, j'imagine qu'ils ont dû rester dormir sur place à La Roche-sur-Yon, le trajet jusqu'au Langon prenant beaucoup plus de temps qu'aujourd'hui.
Le dossier comprend, outre le procès-verbal de la séance, la déclaration du jury ainsi que l'ordonnance d'acquittement des accusés.
Même si Jean et Marie ont été acquittés, on peut légitimement se demander s'ils ont pu être incarcérés en détention provisoire. L'incendie ayant eu lieu le 14/08/1887 et le jugement s'étant tenu le 03/02/1888, cela laisse une petite fenêtre de recherche pour une éventuelle incarcération. Les AD85 ayant numérisé les fonds des différents établissements pénitentiaires du département, on se dirigera rapidement vers la cote 2 Y 2 58 qui concerne les registres d'écrou des prévenus à la maison d'arrêt de Fontenay-le-Comte pour la période 18/03/1883-04/12/1888. Notons qu'on aurait pu consulter le répertoire semi-alphabétique pour la période 1879-1894, archivé sous la cote 2 Y 2 38 et également numérisé, mais la fenêtre de recherche est suffisamment petite pour que la recherche puisse se faire directement dans le registre d'écrou.
On ne tardera pas à trouver à la vue 247/364 l'écrou de Jean AUGER, à la date du 20/08/1887. Et si on tourne la page, on trouvera à la vue 248/364 l'écrou de Marie CHABIRON, à la date du 23/08/1887.
Chaque entrée d'un registre d'écrou se divise en plusieurs colonnes :
Ce document nous apprend, sans trop de surprises, que Jean est illettré (degré d'instruction néant) et qu'il est pauvre (il est habillé de mauvais effets). On apprend également que Jean est incarcéré le 20/08/1887, soit 6 jours après les faits qui lui sont reprochés, et 2 jours avant son anniversaire (mais qui fêtait son anniversaire à cette époque ?). Il est amené par le sieur ARTAUD, gendarme à Chaillé-les-Marais, sur ordre du juge d'instruction. Il quitte la maison d'arrêt le 14/01/1888, soit une vingtaine de jours avant le procès. Il est indiqué que l'écrou a été radié par le chef d'escorte en vertu d'un ordre de M. le Procureur de la République pour être transféré à la maison de justice de La Roche-sur-Yon.
Faisons un aparté pour lister les différentes prisons créées par le code pénal en 1791, en fonction des catégories de détenus :
Notons que ces trois types d'établissements sont souvent réunis dans un seul et même lieu où se retrouvent tous les détenus, hommes et femmes séparés. Enfin, signalons que les peines de plus d'un an sont effectuées en maison centrale ; il n'en a jamais existé en Vendée.
On apprend ici que, comme Jean, Marie est illettrée (degré d'instruction néant), et comme lui elle est habillée de mauvais effets. Notons en outre qu'on découvre ici le signalement de Marie, information qu'on n'a pas l'habitude de voir dans les archives pour une femme, contrairement aux hommes dont le signalement apparaît dans le registres matricules de l'armée. Enfin, nous pouvons lire dans la case réservée au signalement : marques particulières : enceinte. Marie est amenée à la maison d'arrêt le 23/08/1887, soit 3 jours après Jean, par le sieur COMPAGNON, gendarme à Fontenay-le-Comte. Elle ne restera incarcérée que 2 semaines puisqu'elle est libérée le 07/09/1887, en vertu d'un ordre de mise en liberté provisoire.
Le transfèrement de Jean à la maison de justice nous conduit à consulter le registre d'écrou de cette dernière, coté 2 Y 1 64 pour la période allant de juillet 1878 à janvier 1889. On pourra se rendre directement à la table semi-alphabétique située en fin de registre (vues 101-103/103) pour se rendre compte que Jean est écroué à la maison de justice sous le numéro d'écrou 260. On le retrouve à la vue 88/103. On retrouve d'ailleurs Marie juste en-dessous avec le numéro d'écrou 261 ; tout comme Jean, elle est dite conduite de la maison d'arrêt de Fontenay-le-Comte. Et en effet, quand on retourne voir le registre d'écrou de la maison d'arrêt de Fontenay-le-Comte, on se rend compte que Marie s'est constituée prisonnière le 11/01/1888 dans l'attente du jugement (AD85 2 Y 2 58 vue 291/364 ; écrou 835).
Marie s'est donc constituée prisonnière à la maison d'arrêt le 11/01/1888 en vue de son jugement. À cette occasion, elle n'est plus habillée de mauvais effets comme la première fois ! En effet, elle a pris soin de venir avec ses plus beaux habits :
Notons que la liste de ses vêtements à l'entrée à la maison de justice diffère un peu de la liste ci-dessus : 4 jupons, 1 bonnet, 1 chemise, 1 tablier, 1 paire de poches, 1 flanelle, 1 fichu, 1 paire de bas, 1 paire de chaussons, 1 paire de sabots. Mais ce qu'on peut surtout remarquer, c'est la différence entre les mauvais effets de Jean à son entrée à la maison d'arrêt et les vêtements avec lesquels il arrive à la maison de justice, vêtements que Marie lui a sans doute apportés quand elle s'est constituée prisonnière :
Le fait que Jean et Marie se sont présentés devant le tribunal avec de beaux habits a-t-il eu un effet positif sur les jurés et sur leur verdict ? C'est possible. Nul doute que Jean aura mis sa cravate (qui est probablement la seule en sa possession) pour l'audience, et que la robe couleur apportée par Marie était la plus belle, voire la seule, de sa garde-robe !
Après ce jugement et cet acquittement, Jean et Marie déménageront à plusieurs reprises ; leur troisième enfant, Marcelline, naîtra à Sérigné en 1890, Gustave naîtra à Charzais (à l'époque commune indépendante, aujourd'hui rattachée à Fontenay-le-Comte) en 1892, et l'aîné Marie décèdera en 1898 à l'âge de 13 ans à Rouchereau, lieu-dit de Fontenay-le-Comte, non loin de La Folie, autre lieu-dit de Fontenay-le-Comte où Jean et Marie décèderont et où s'installera Gustave avec sa famille.
Pour aller plus loin, on pourrait consulter les archives cadastrales pour retrouver la propriété concernée dont on sait qu'elle appartient à un M. FAVREAU. Un petit tour dans les archives notariales pourrait être intéressant également pour tenter de retrouver un éventuel contrat de location passé entre M. FAVREAU et Jean AUGER et Marie CHABIRON.
Enfin, on peut se demander qui s'est occupé de Marie, fille aînée de Jean et Marie âgée de 2 ans à l'époque, lors des deux incarcérations de sa mère, et de Jules, âgé de moins d'un mois lorsque sa mère se constitue prisonnière le 11/01/1888. Peut-être que la sœur de cette dernière, la femme CHISSON, s'est fait délivrer un certificat médical de complaisance afin de ne pas avoir à aller témoigner au procès et ainsi de garder les deux enfants de sa sœur ? On ne le saura jamais...